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ANALYSE PAR JACQUES DUHEM

 

 

Les députés ont adopté en première lecture, le 16 avril dernier un texte dont l’objet est de faciliter les modalités de succession pour les héritages inférieurs modestes. Les héritages concernés seraient ceux d’un montant à inférieur 5 335 €, soit environ un tiers des héritages.

 

1   Un constat

 

Selon l’article 730 du code civil la preuve de la qualité d’héritier peut s’établir par tout moyen. En pratique, la preuve de cette qualité se fait soit par la production d’un certificat d’hérédité, délivré à titre gracieux par les maires, soit par celle d’un acte de notoriété établi par un notaire.

 

Les certificats d’hérédité, valables uniquement  pour des successions d’un montant inférieur à 5 335 € sont rédigés par les maires au vu du livret de famille. Ces derniers doivent s’assurer que les personnes auxquelles ils délivrent ce certificat sont bien les seules héritières. La délivrance de ce document n’est pas une obligation pour les maires et en pratique, beaucoup d’entre-eux refusent de le rédiger par crainte de mal faire… (Le rapport parlementaire fait état d’un taux de refus de 60%)

 

Face à un tel refus, les héritiers n’ont pas d’autre choix, que de s’adresser à un notaire pour établir un acte de notoriété et ce recours est susceptible d’entraîner des coûts disproportionnés au regard du montant de l’actif successoral. Le rapport parlementaire (Un extrait de ce dernier figure au point 4 ci-dessous) souligne que cette situation est à l’origine de nombreuses renonciations à succession.

 

« une forte augmentation du nombre de renonciation à succession : en 2012, 74 879 renonciations ont été enregistrées, contre 50 031 en 2004, soit une hausse de 25 %. Les personnes concernées renoncent aux fonds leur revenant, mais aussi et surtout aux objets personnels et aux souvenirs de famille ayant appartenu au défunt. »

 

 

2   Economie générale de la mesure

 

L’idée est de mettre en place un nouveau mode de preuve simplifié.

Il est ainsi proposé de compléter l’article L. 312-1-4 du code monétaire et financier, issu de la loi du 26 juillet 2013, qui prévoit d’ores et déjà des dispositions permettant à la personne qui a qualité pour pourvoir aux funérailles du défunt d’obtenir, sur présentation de la facture des obsèques, le débit sur les comptes de paiement du défunt, des sommes nécessaires au paiement de tout ou partie des frais funéraires.

 

Le texte prévoit que le débit sur le solde des comptes des bancaires du défunt pourrait être obtenu en vue de la réalisation d’actes conservatoires ou pour la clôture des comptes bancaires, dès lors que l’héritier demandeur serait en mesure d’apporter un certain nombre de justificatifs.

Outre une attestation de l’ensemble des héritiers indiquant qu’il n’y a pas d’autres héritiers connus ou de contentieux engagés s’agissant de la qualité d’héritier, le requérant devra pour obtenir le débit sur le solde des comptes bancaires présenter un ensemble de documents visant à s’assurer qu’il n’y a pas d’autres héritiers connus ou de dispositions spécifiques pouvant faire obstacle aux règles de dévolution légale.

 

Pour justifier de sa qualité d’héritier, le requérant aura à présenter :

« – son extrait d’acte de naissance ;

« – les extraits d’acte de naissance et de décès du défunt ;

« – le cas échéant, un extrait d’acte de mariage du défunt ;

« – les extraits d’actes de naissance de chaque ayant droit désigné dans l’attestation susmentionnée ;

« – un certificat d’absence d’inscription de dispositions de dernières volontés. »  (Le coût de cette formalité étant de l’ordre de 15 euros)

 

 

 

3   Le texte adopté

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUATORZIÈME LÉGISLATURE

SESSION ORDINAIRE DE 2013-2014

16 avril 2014

PROJET DE LOI

relatif à la modernisation et à la simplification du droit
et des procédures dans les domaines de la
justice
et des
affaires intérieures,

Article 2 bis A (nouveau)

L’article L. 312-1-4 du code monétaire et financier est complété par quatorze alinéas ainsi rédigés :

 

« Sous réserve de justifier de sa qualité d’héritier, tout successible en ligne directe peut :

 

« 1° Obtenir le débit sur le ou les comptes de paiement du défunt, dans la limite du ou des soldes créditeurs de ce ou de ces comptes, des sommes nécessaires au paiement de tout ou partie des actes conservatoires, au sens du 1° de l’article 784 du code civil, auprès des établissements de crédit teneurs du ou desdits comptes, dans la limite d’un montant fixé par arrêté du ministre chargé de l’économie ;

 

« 2° Obtenir la clôture du ou des comptes du défunt et le versement des sommes y figurant, dès lors que le montant total des sommes détenues par l’établissement est inférieur à un montant fixé par arrêté du ministre chargé de l’économie.

 

« Pour l’application des 1° et 2°, l’héritier justifie de sa qualité d’héritier auprès de l’établissement de crédit teneur du ou desdits comptes soit par la production d’un acte de notoriété, soit par la production d’une attestation signée de l’ensemble des héritiers, par lequel ils attestent qu’à leur connaissance :

« a) Il n’existe pas de testament ni d’autres héritiers du défunt ;

« b) Il n’existe pas de contrat de mariage ;

« c) Qu’ils autorisent le porteur du document à percevoir pour leur compte les sommes figurant sur le ou les comptes du défunt ou à clôturer ces derniers ;

« d) Qu’il n’y a ni procès, ni contestation en cours concernant la qualité d’héritier ou la composition de la succession.

 

« Dans ce cas, outre cette attestation, l’héritier remet à l’établissement de crédit teneur des comptes :

« – son extrait d’acte de naissance ;

« – les extraits d’acte de naissance et de décès du défunt ;

« – le cas échéant, un extrait d’acte de mariage du défunt ;

« – les extraits d’actes de naissance de chaque ayant droit désigné dans l’attestation susmentionnée ;

« – un certificat d’absence d’inscription de dispositions de dernières volontés. »

 

 

4   Extraits du rapport parlementaire

 

 

La création d’un mode de preuve simplifié pour justifier de la qualité d’héritier

 

La quatrième habilitation que souhaite recevoir le Gouvernement porte sur la création d’un nouveau mode de preuve de la qualité d’héritier dans les successions modestes.

 

L’intervention du Gouvernement est motivée par un constat : bien que la preuve de la qualité d’héritier soit libre, en vertu de l’article 730 du code civil, il est souvent demandé aux intéressés, par les tiers ou les administrations, à l’appui des démarches qu’ils entreprennent pour régler la succession ou pourvoir aux funérailles, de produire un acte de notoriété, établi par le notaire.

 

Celui-ci, né de la pratique et confirmé, dans le code civil par la loi du 3 décembre 200169(*), est prévu à l’article 730-1 : il contient l’affirmation, signée des ayants droits auteurs de la demande, qu’ils ont vocation, seuls ou avec d’autres qu’ils désignent, à recueillir tout ou partie de la succession du défunt. L’acte de notoriété fait foi jusqu’à preuve du contraire70(*). Les héritiers ainsi désignés sont réputés, à l’égard des tiers détenteurs des biens de la succession, en avoir la libre disposition ainsi que celle des fonds éventuels, dans la proportion indiquée à l’acte71(*).

 

L’acte de notoriété contient ainsi deux informations importantes : il répute les déclarants héritiers, il indique selon quelle part ils doivent hériter. Ces affirmations, vérifiées par le notaire, compte tenu des éléments dont il dispose engagent la responsabilité des déclarants, qui se rendraient coupables de recel s’ils s’en prévalaient sciemment et de mauvaise foi72(*). L’existence d’un tel acte ne préjudicie pas aux droits des autres héritiers, inconnus des déclarants au moment de sa rédaction.

 

Jusqu’à la loi n° 2007-1787 du 20 décembre 2007 relative à la simplification du droit, l’acte de notoriété pouvait aussi être dressé, gratuitement, par le greffier en chef du tribunal d’instance, en l’absence de contrat de mariage ou de testament. Cette suppression a été animée par le souci de confier la rédaction de l’acte au professionnel le plus compétent en la matière.

 

La difficulté que pose cet acte de notoriété est son coût, parfois non négligeable, comparé au montant possible des successions les plus modestes. Le tarif prélevé par le notaire est de 58,5 euros, hors TVA, somme à laquelle il convient d’ajouter les émoluments correspondant aux formalités éventuelles ou aux mesures de publicité auxquelles le notaire aura dû procéder pour vérifier les déclarations des parties. Selon les informations fournies par les services du ministère de la justice le coût pour les parties peut approcher, pour certaines successions, 200 à 250 euros au total.

 

Conscient de cette difficulté, le législateur, en 2001, avait réservé la compétence des mairies pour établir des certificats d’hérédité, dont la vocation était justement de fournir une preuve simplifiée et gratuite aux héritiers des successions les plus modestes, afin de faire valoir leurs droits73(*).

 

Ces certificats, délivrés par le maire, relèvent d’un usage administratif ancien : établis sur présentation du livret de famille du défunt, ils ne sont valables que pour des successions inférieures à 5 335,72 euros. Le maire doit s’assurer que les personnes mentionnées sur le certificat sont bien les seules héritières. Cette contrainte, particulièrement difficile à satisfaire, et la crainte de la responsabilité de l’autorité publique qu’engagerait ce certificat dissuade souvent les maires de le délivrer, ce qui contraint les héritiers à se tourner vers le notaire, pour parvenir à accomplir certaines démarches (clôture des abonnements téléphoniques du défunt, par exemple) ou à se faire remettre les fonds détenus par des tiers, en particulier ceux des comptes bancaires du défunt.

 

Le Gouvernement travaille, depuis plusieurs années à remédier à cette situation, afin d’éviter que des successions modestes ne soient pas réglées, les tiers refusant de recevoir les preuves simples que leurs présentent les héritiers, ceux-ci n’obtenant pas des mairies un certificat d’hérédité et hésitant à solliciter un acte de notoriété, en raison de son coût par rapport au bénéfice espéré sur la succession.

 

Une première solution a été proposée lors de l’examen de la loi du 26 juillet 2013 de séparation et de régulation des activités bancaires74(*).

 

Il s’agissait d’une part d’autoriser la personne ayant qualité pour pourvoir aux funérailles à prélever sur les comptes bancaires du défunt les sommes nécessaires au paiement des obsèques75(*), d’autre part, de permettre aux héritiers en ligne direct d’obtenir le paiement des frais conservatoires sur la succession, par la production d’un acte de naissance, et, enfin, de leur offrir, dans les mêmes conditions, la possibilité de clôturer le compte bancaire et se faire remettre les fonds, s’ils présentent en plus une déclaration des héritiers connus indiquant qu’à leur connaissance, il n’existe pas de testament ni d’autres successibles et qu’ils autorisent le porteur à procéder à ces opérations.

 

À l’initiative de votre rapporteur, alors rapporteur pour avis pour ce texte, votre commission avait proposé la suppression des deux derniers dispositifs, au motif qu’ils n’étaient réclamés ni par les associations de consommateurs, ni par les notaires, ni par les établissements bancaires, et que les garanties prévues étaient très insuffisantes, puisque les successibles autres qu’en ligne directe, comme le conjoint, ou les bénéficiaires d’un testament olographe, n’étaient pas protégés des héritiers qui ignoreraient leur situation, en toute bonne foi, ou le prétendraient.

 

Par cette demande d’habilitation, le Gouvernement souhaite régler cette situation.

Malheureusement, il ne semble pas que les solutions qu’il esquisse soient plus satisfaisantes que le droit en vigueur.

En effet, interrogé sur ce point par votre rapporteur, les représentants du ministère de la justice ont indiqué réfléchir à un acte notarié simplifié, afin d’en faire baisser le coût.

 

Cependant, les représentants du conseil supérieur du notariat entendus par votre rapporteur ont exprimé leurs doutes sur la pertinence d’un tel acte simplifié.

L’équilibre à tenir est délicat : trop simple, l’acte ne constituera pas une garantie suffisante ; entouré de trop de garanties, il sera presqu’aussi coûteux.

 

S’il se réduit à énoncer la qualité d’héritier de l’intéressé, sans préciser la part d’héritage qui peut lui revenir, ni l’existence des autres héritiers, il n’aura pas plus d’effet qu’un acte de naissance affiliant le porteur au défunt. Un tel document ne saurait autoriser un accès complet au compte bancaire du défunt.

 

À l’inverse, s’il inclut la liste des successibles connus, il imposera au notaire de vérifier la vocation successorale de chacun, dont se déduira la part qui revient à chacun : les formalités seront équivalentes à celles qu’il accomplit lorsqu’il établit un acte de notoriété, et le coût sera le même.

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