BERCYCessions d’usufruits temporaires : La fin d’une stratégie patrimoniale ?

Interview de Serge Anouchian (Gifec) et Frédéric Aumont

La troisième loi de finances rectificative pour 2012 a profondément modifié les conséquences fiscales des cessions à titre onéreux portant sur des usufruits temporaires. Ces cessions déclenchaient jusqu’à présent, l’application des régimes des plus-values des particuliers. Désormais le législateur a prévu d’imposer au barème progressif de l’impôt, le prix de vente de l’usufruit temporaire selon le régime d’imposition des revenus susceptibles d’être procurés par le bien démembré. Le champ d’application de cette nouvelle mesure est très vaste et concerne notamment, les titres de société et les biens immobiliers.

La base taxable selon les cas au titre des revenus fonciers ou des revenus de capitaux mobiliers sera le prix de cession de l’usufruit. Aucun étalement de l’imposition du produit de cession n’est prévu afin d’atténuer les effets de la progressivité du barème. Outre l’impact de l’impôt sur le revenu, il faudra également tenir compte de l’application des prélèvements sociaux au taux de 15,50% et le cas échéant de la contribution exceptionnelle sur les hauts revenus. Ce nouveau dispositif, s’applique aux cessions réalisées depuis le 14 novembre 2012.

Le Conseil constitutionnel a malheureusement, validé en totalité ce texte.

Le coût fiscal d’une telle opération dont la motivation pouvait être juridique et financière, rend t-il l’opération désormais impossible ? Nous avons demandé à deux praticiens, éminents spécialistes de la question, Serge Anouchian, Expert-comptable à Paris et Frédéric Aumont, Notaire à Lyon, leurs avis sur la question.

JD           La nouvelle est tombée comme un cheveu dans la soupe le 14 novembre dernier : Les pouvoirs publics ont souhaité encadrer ce schéma jugé comme abusif. Partagez- vous ce point de vue ? Ce schéma était-il systématiquement abusif ? Quel est votre sentiment global au sujet de cette réforme ?

ANOUCHIANSA : Pour l’exprimer d’une façon triviale, je dirais que le gouvernement est en retard d’une guerre.

En effet, si cette stratégie recelait effectivement une très forte optimisation fiscale c’est avant tout sans doute parce que l’exonération définitive de toutes les plus-values immobilières était acquise au bout de 15 ans.

Par conséquent, nombre de chefs d’entreprise, à l’orée de la cinquantaine, pouvait avoir envie de sécuriser le lieu d’exploitation de leur société, en cédant à la société d’exploitation l’usufruit de l’immeuble d’exploitation, détenu le plus souvent à travers une société civile immobilière dont la durée de détention excédait dans cette situation souvent les 15 ans fatidiques nécessités pour obtenir l’exonération définitive de la plus-value.

On sait évidemment aujourd’hui qu’hélas le législateur a mis fin à cette situation au mois d’août 2011 en repoussant à 30 ans le délai nécessaire pour obtenir une exonération totale des plus-values immobilières.

Il est donc aujourd’hui difficile d’imaginer une stratégie identique pour un chef d’entreprise près de la cinquantaine puisque cela voudrait sous-entendre qu’il aurait acheté ces locaux d’exploitation à l’âge de 20 ans pour bénéficier pleinement des effets de l’exonération. Certes « aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années », mais il semble que la réforme du mois d’août 2011 ait momentanément échappé au rédacteur de la loi de finances rectificatives !

Un dernier mot enfin pour souligner avec véhémence, qu’à mon sens et dans la situation décrite, ce schéma n’était absolument pas abusif bien au contraire car il préparait de façon très efficace l’entreprise à sa transmission éventuelle tout en permettant au chef d’entreprise, grâce au capital perçu sans impôts, de préparer lui-même et pour ses enfants sa propre succession.

AUMONT~1FA : Je partage complètement l’analyse de Serge ANOUCHIAN. Je pense que le législateur a fait une analyse erronée en ne voyant que le pseudo aspect d’optimisation fiscale qui était réalisé. Ce schéma de constitution d’un droit d’usufruit au profit de la société d’exploitation est d’abord réalisé dans l’intérêt de la société d’exploitation pour lui permettre de réduire le coût d’utilisation de ses locaux et de conforter le droit qu’elle avait sur son lieu d’exploitation. C’est d’ailleurs en ce sens que s’était prononcée une réponse ministérielle Straumann du 05 mai 2009 (J.O Ass. Nat. 05 mai 2009  page 4357) qui avait affirmé que dès lors qu’il y avait un intérêt économique pour la société d’exploitation à détenir un droit d’usufruit plutôt que d’être locataire, le schéma pouvait être retenu. Cette réforme pénalise donc directement les entreprises à un moment où le gouvernement met en avant la compétitivité. C’est assez incompréhensible !

La seule motivation de la modification est donc d’augmenter l’impôt perçu. Sur ce thème comme sur d’autres il y a fort à parier que la maxime « trop d’impôt tue l’impôt » va retrouver toute son actualité ! Pour ne citer qu’un aspect, le surplus d’impôt sur les sociétés généré par la constitution d’un droit d’usufruit va disparaitre.

JD           Que reste-t-il aujourd’hui de la stratégie ? Est-il toujours opportun de l’envisager ?    

 ANOUCHIANSA : On peut sans doute trouver encore aujourd’hui, des situations où cette stratégie pourrait être suggérée. Néanmoins l’assujettissement au régime des revenus fonciers du capital perçu en contrepartie de la cession de l’usufruit temporaire des locaux enlève à mon sens toute pertinence à cette stratégie.

Ce texte va heureusement perdre beaucoup de son efficacité eue égard à la durée de détention nécessaire que j’ai évoquée ci-dessus. Il convient cependant de remarquer que dans l’exposé des motifs, le législateur avait indiqué : « actuellement, l’administration fiscale ne peut remettre en cause ces opérations que par le biais de l’abus de droit, lorsque les conditions propres à cette procédure sont réunies. »

Quelle meilleure reconnaissance pouvait-on espérer de la part de l’administration fiscale que celle consistant à dire que cette stratégie n’aboutissait nullement à une opération fictive et qu’elle était véritablement inspirée par des motifs autres que fiscaux !

AUMONT~1FA : L’intérêt de constituer en l’état un droit d’usufruit sera probablement très réduit mais ce n’était pas le seul schéma qui permettait à l’entreprise d’avoir un droit réel pérenne sur ses locaux.

JD           N’y a-t-il pas une inadéquation entre l’objectif exprimé du législateur (s’attaquer à des ventes à soi-même) et la rédaction du texte adopté ?

 

ANOUCHIANSA : Il y a incontestablement une inadéquation et à tout le moins une  ambiguïté dans la rédaction du texte du projet de loi de finances rectificatives.

En effet la lecture du texte laisse supposer que sont visées absolument toutes les cessions d’usufruit y compris donc celle à un tiers. Comment dès lors imaginer la sécurisation d’un acte de cession souhaitée par un vendeur qui, in fine,   se retrouverait face à deux acquéreurs, l’un souhaitant acquérir la nue-propriété et l’autre l’usufruit. La fiscalité du vendeur se trouverait-elle alors modifié par la simple modalité d’acquisition d’un acquéreur ! ?

C’est effectivement ambigu, dangereux et inutile.

AUMONT~1FA : Nous avons un texte qui a visiblement été présenté dans la précipitation et qui laisse place à beaucoup d’incertitudes. On est en pleine contradiction car la loi est faite pour donner un cadre général et non pour régler des situations particulières. Or ici elle veut régler une situation particulière. Soit la loi est trop précise et aurait risquée la censure du Conseil Constitutionnel pour inégalité devant l’impôt soit la loi donne un cadre général (ce qui est sa vocation première) et elle pénalise des schémas qui à l’origine n’étaient pas visés et apporte de l’incertitude.

Avec la théorie de l’abus de droit fiscal, il nous semblait que l’administration fiscale disposait d’un outil suffisamment efficace pour condamner les schémas sans consistance économique !

JD           Quelles sont aujourd’hui les solutions alternatives à proposer aux clients en matière de détention de l’immobilier d’entreprise ?

ANOUCHIANSA : Tous les conseillers en gestion de patrimoine réfléchissent aujourd’hui effectivement à des solutions alternatives pour aboutir à un résultat similaire car, répétons-le, cette situation correspond à un réel besoin tant des chefs d’entreprise que des entreprises elles-mêmes.

L’une des pistes à explorer va sans doute consister à faire acquérir à la société d’exploitation la pleine propriété des parts de la société civile immobilière détentrice des locaux d’exploitation, puis à en céder la nue-propriété au détenteur final pour aboutir ainsi à la même situation.

D’autres voies restent encore à explorer en restant évidemment attentifs aux stratégies utilisées qui devront toutes conservées une justification économique, ou pour employer un terme beaucoup plus à la mode, avoir de la « substance ».

AUMONT~1FA : Comme le disait Serge ANOUCHIAN, l’exposé des motifs du projet de loi vise expressément les constitutions d’usufruit par une personne propriétaire au profit d’une société qu’il contrôle alors que le texte voté (article 13-5 du CGI) est lui beaucoup plus général. L’instruction fiscale sera donc précieuse pour voir le périmètre précis de ce nouveau texte. Notamment, il me semblerait que les apports d’usufruit portant sur des parts sociales de SCI ne sont pas visés par ce nouveau dispositif dans la mesure où ils ne dégagent pas de liquidité et qu’ils sont soumis à un régime de report d’imposition de la plus-value codifié à l’article 150 UB III du CGI, texte qui n’a pas été modifié. (Sur ce dernier point, il conviendra toutefois , d’attendre les commentaires administratifs)

Frédéric et Serge, je vous remercie.

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