Apologie involontaire du divorce: Article rédigé par SERGE ANOUCHIAN – Expert comptable – Cabinet GIFEC Paris – Publié dans la revue Ouverture, Avril 2011

Écrire aujourd’hui un article sur la fiscalité patrimoniale relève au mieux d’une immodestie incurable au pire d’un aveuglement coupable.

 Le Club Expert Patrimoine organisait le 6 mars 2012, sa quatrième conférence annuelle intitulée « les incidences patrimoniales des différentes lois de finances fiscales et sociales » traditionnellement animées par notre ami Jacques DUHEM.

Jamais au cours des différentes années le titre d’une conférence n’aura autant mérité son nom ! À croire que le législateur s’évertue à faire autant de loi de finances qu’il a d’idées ce qui ne peut que nous conduire à nous interroger sur son manque d’idées ou sur son manque d’organisation !

 Fidèle à sa tradition notre brillant conférencier nous avait préparé un support d’anthologie en résumant au sein d’un volumineux document les textes des différentes lois de finances mais aussi les avis, instructions ou jurisprudences venues au courant de l’année 2011 interférer directement la matière du conseil patrimonial.

 Bien sûr il n’est pas possible de résumer en quelques mots la densité de l’information communiquée par ce support ainsi que les subtilités d’utilisation des différents textes que l’animateur s’est chargé de nous enseigner y compris au moyen de petits outils de simulation et d’aide à la décision.

Il a donc bien fallu au « journaliste occasionnel » que je suis devenu par la grâce de notre sémillant rédacteur en chef, choisir un sujet symptomatique de l’apport incontestable de l’expert en matière de conseil en gestion de patrimoine en général et plus particulièrement dans le choix des différentes stratégies face à une situation donnée.

 On a beaucoup écrit sur les vertus du démembrement de propriété, de nombreux articles sont venus commenter les différentes dispositions relatives au divorce et au choix optimum de versement des pensions alimentaires, mais peu d’auteur à ma connaissance se sont penchés sur la combinaison possible de ces deux dispositions.

Les brillants commentaires faits par Jacques DUHEM à l’occasion de l’arrêt du conseil d’État du 12 octobre 2011 devaient nous en donner l’occasion.

Ce que l’on pourrait appeler comme étant une véritable « apologie du divorce fiscal » n’est cependant que la conséquence de la bonne articulation des différentes possibilités ouvertes tant par le Code civil et le Code des impôts sur les vertus du démembrement de propriété que sur l’obligation de pension alimentaire imposée par le code civil.

Commençons par citer les articles en références :

Article 6-2 du CGI  « le contribuable peut réclamer des impositions distinctes pour ses enfants, lorsque ceux-ci tirent un revenu de leur travail ou d’une fortune indépendante de la sienne ».

Le 6-3 indique que « toute personne majeure âgée de moins de 21 ans, ou de moins de 25 ans lorsqu’elle poursuit ses études, ou quel que soit son âge, lorsqu’elle effectue son service militaire ou est atteint d’une infirmité, peut opter, dans le délai de déclaration et sous réserve des dispositions du quatrième alinéa du 2° du II de l’article 156, entre :

1°- l’imposition de ses revenus dans les conditions de droit commun ;

2°- le rattachement au foyer fiscal dont elle faisait partie avant sa majorité, si le contribuable auquel elle se rattache accepte ce rattachement et inclut dans son revenu imposable les revenus perçus pendant l’année entière par cette personne ; le rattachement peut être demandé, au titre des années qui suivent celle au cours de laquelle elle atteint sa majorité, à l’un ou à l’autre des parents lorsque ceux-ci sont imposés séparément.

Quant à l’article 156-II précité, il indique fort logiquement « qu’un contribuable ne peut, au titre d’une même année et pour un même enfant, bénéficier à la fois de la déduction d’une pension alimentaire et du rattachement. L’année où l’enfant atteint sa majorité, le contribuable ne peut à la fois déduire une pension pour cet enfant et le considérer à charge pour le calcul de l’impôt.

En ce qui concerne les prestations compensatoires sous forme de rente due à l’occasion d’un divorce, le présent article n’aura qu’un intérêt historique compte tenu que la forme normale du versement de l’indemnité compensatoire en matière de divorce est devenue le versement du capital.

On notera toutefois, avec un intérêt somme toute purement intellectuel, qu’un arrêt récent du conseil d’État (CE 8 et 3 ° Sous-sections, 1er février 2012, N° 338611- Revue  de droit fiscal-N°12, page 17) reconnaît le caractère déductible d’une prestation payée sous la forme d’attribution non viagère de la jouissance d’un appartement.

En substance, les commentaires de l’arrêt, précisent que pour déterminer si la prestation compensatoire présente le caractère d’un capital ou s’il doit s’analyser comme une rente, il convient de se référer aux modalités selon lesquelles la convention de divorce prévoit la façon dont le débiteur s’en acquitte.

En l’occurrence, l’époux laissait à son ex- épouse la jouissance d’un appartement dont il était propriétaire en stipulant que cet avantage prendrait fin en cas de remariage de cette dernière. Cette mise à disposition n’ayant pas été considérée comme une jouissance viagère d’un droit immobilier a donc été regardée comme une prestation compensatoire versée sous la forme d’une rente et par conséquent parfaitement déductible du revenu imposable en application du 2° du II de l’article 156 du CGI.

Il va sans dire que la solution aurait été la même en cas d’attribution à l’ex- épouse de l’usufruit temporaire d’un bien immobilier quelconque.

En ce qui concerne le versement de pension alimentaire aux enfants, il convient bien évidemment de s’assurer que les enfants sont en mesure de réclamer des impositions distinctes dans les conditions fixées par l’article 6 du code général des impôts que nous avons rappelés plus haut.

Un arrêt du conseil d’État du 12 octobre 2011 allait donner l’occasion à Jacques DUHEM de préciser cette notion et d’en mesurer les effets.  (CE 12 octobre 2011, N°325173, MALOD).

Rappelons tout d’abord les circonstances de l’affaire :

Par acte notarié du 26 septembre 1994 Monsieur et Madame alors marié sous le régime de la communauté légale de bien mais en instance de divorce, ont donné pour cinq ans à leurs deux enfants mineurs l’usufruit de 20 % des parts qu’il possédait dans une société civile immobilière. Par acte notarié du même jour liquidant la communauté, homologué par l’arrêt de la cour d’appel du 25 octobre 1994 prononçant le divorce définitif des époux, Mme s’est vu attribuer la pleine propriété des 80 % des parts non démembrées, ainsi que la nue-propriété des 20 % objet de la donation. Madame, à qui la garde des enfants a été confiée, a demandé l’imposition distincte de ses deux enfants mineurs sur le fondement de l’article 6-2 du code général des impôts et les enfants mineurs ont déclaré dans les années considérées les revenus fonciers qu’ils ont perçus en qualité d’usufruitier de parts de la société civile ainsi que la contribution complémentaire versée par leur père pour leur éducation et leur entretien.

Le débat est venu du refus de l’administration fiscale de considérer que les revenus des enfants provenaient d’une fortune indépendante de celle de leur mère au sens des dispositions de l’article précité.

Les revenus tirés d’une fortune s’entendent de « ceux qu’un enfant tire d’un patrimoine lui appartenant, alors même que ce patrimoine serait inférieur aux seuils prévus par l’article 885 A du CGI relatif à l’impôt de solidarité sur la fortune ou que ses revenus laisseraient l’enfant dans l’état de besoin du créancier d’aliments en matière de pension alimentaire et en dépit du caractère éventuellement temporaire du droit de propriété. Une fortune doit être regardée comme indépendante de celle du contribuable dès lors que l’enfant peut en disposer librement, sous les seules réserves impliquées par l’incapacité du mineur, et alors même qu’elle provient d’une donation faite par le contribuable, dès lors que ce dernier ne détient plus, pendant les années d’imposition, aucun droit sur le bien, objet de la donation.

Constitue ainsi, pour deux enfants mineurs, une fortune indépendante de celle de leur mère chez laquelle ils résident, la possession pour cinq ans de l’usufruit de 20 % des parts d’une société civile immobilière dont la nue-propriété est détenue par leur père. Les enfants peuvent donc être imposés distinctement sur une base incluant non seulement les revenus fonciers issus de l’usufruit des parts mais également les sommes versées par leur père pour leur éducation et leur entretien ».

Cette décision du conseil d’État est importante en ce sens qu’elle confirme qu’un usufruit temporaire sur des parts de sociétés civiles immobilières productrices de revenus fonciers peut être constitutif d’une fortune indépendante, de celle de sa mère, dont l’enfant mineur retire des revenus au sens de l’article 6-2 du CGI.

Et Jacques DUHEM de préciser : « la fortune du mineur  n’a de caractère indépendant qu’à la condition que le contribuable qui exercent l’autorité parentale, non seulement ne dispose d’aucun droit sur son patrimoine mais également n’ait aucune possibilité, en dépit de sa qualité d’administrateur légal des biens de son enfant et du droit de jouissance légale qui s’y attache, de disposer des revenus de ce patrimoine .

 

Par conséquent la circonstance que la personne titulaire de l’autorité parentale soit l’auteur de la donation faite à l’enfant n’a aucune incidence sur le caractère indépendant de la fortune dès lors que le donateur ne détient plus aucun droit sur l’objet de la donation.

En revanche, avant 16 ans accomplis, un enfant mineur n’a pas, en principe, la jouissance des revenus de son patrimoine. Cette jouissance appartient aux parents en vertu de l’article 383 du Code civil. Mais la jouissance légale des parents ne s’étend pas aux biens que l’enfant acquiert par son travail, ni à ceux qui lui sont donnés ou légués sous la condition expresse que le père et la mère n’en jouissent pas (article 387 du Code civil) »

Par cette décision, d’apparence sibylline, la plus haute juridiction confirme que la donation temporaire des parts de société civile immobilière peut remplir dans des conditions parfaitement sécurisées une quadruple vocation à partir d’une obligation légale imposée par le Code civil à savoir le versement d’une pension alimentaire destinée à remplir les quatre obligations vitales de tous parents envers ses enfants afin que ces derniers puissent Manger, Dormir, se Former, et se Soigner.

Habilement combiné cette donation temporaire de parts de sociétés civiles immobilières permet en effet :

1- de remplir une obligation alimentaire,

2- de déduire dans les conditions prévues par la loi cette pension alimentaire de son revenu imposable,

3-de diminuer sensiblement ses revenus fonciers,

4-de diminuer sensiblement l’ISF sur la valeur des parts dont l’usufruit a été concédé, voire même de déduire pour le parent débiteur de la pension alimentaire la valeur de capitalisation de la pension au titre des dettes déductibles de l’ISF. (Documentation administrative 7S-361 N°12)

On ne pourra même pas dire que la mariée est trop belle puisque cette décision a été obtenue dans le cadre d’un divorce !

Espérons toutefois que l’amour et le mariage l’emporteront sur le gain fiscal et l’appât de l’argent.

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